Rencontre avec Alexandre Léchenet, spécialiste du data journalisme
Le data journalisme, l'autre révélation de l'affaire Swissleaks
Lorsque l'affaire Swissleaks éclate en février 2015, les Français découvrent une liste de personnalités possédant un compte dans la filiale suisse de HSBC. Mais c'est aussi une nouvelle forme de journalisme que découvrent les masses : le data journalisme (ou journalisme de données), soit l'association d'informaticiens et de journalistes pour décortiquer des milliers de tableaux Excel et de données informatiques.
A l'occasion du congrès des Clubs de la presse français (UCP2F) à Porquerolles, l'école de journalisme EFJ a rencontré Alexandre Léchenet, à l'époque data journaliste au journal Le Monde, qui a dévoilé l'affaire.
Comment s'est lancé le dossier Swissleaks ?
Alexandre Léchenet : La rédaction du Monde, travaillant sur le volet judiciaire de l'enquête, a reçu des dossiers d'une source. A l'époque, le Monde avait sorti quelques noms, la source leur a dit qu'elle avait mieux que ça et leur a fourni une clé USB avec l'ensemble des fichiers. Il y avait une telle masse de données qu'ils ont fait appel à des data journalistes.
Vous aviez donc des montagnes de tableaux de données, comment les avez-vous traités ?
AL : On savait que nous ne publierions pas ces fichiers tels quels, on ne voulait pas donner tous les noms. Le principal travail a donc été de croiser les fichiers avec des noms de gens connus. J'ai croisé des listes d'Interpol et de Wikipédia pour voir si des noms sortaient. Il y a eu après un travail d'analyse plus globale, pour faire des statistiques : quel genre de personnes, leur sexe, leur âge, etc.
Combien de temps a duré l'exploitation des données ?
AL : On a reçu les fichiers au printemps 2014 et on a publié en février 2015. Nous étions six journalistes et nous avons été vraiment à fond sur ce dossier pendant les deux mois qui ont précédé la publication. Nous voulions quelque chose de solide pour publier.
Avez-vous pris certaines précautions pendant l'analyse des fichiers ?
AL : On a pris toutes sortes de précautions. On a eu d'abord quelques éléments de l'enquête judiciaire en cours qui nous permettait de vérifier si nos trouvailles étaient aussi vues par les juges. Nos conversations étaient sécurisées, on chiffrait nos mails par exemple. Et bien sûr nous avons fait attention à la déontologie et l'éthique journalistique, nous avons appelé toutes les personnes que nous voulions citer.
Et que répondaient la plupart des personnes que vous avez contactées ?
AL : Ce qui était intéressant c'est que la plupart avait déjà régularisé leur situation auprès du fisc, donc la plupart démentait. Certains niaient totalement, d'autres avaient simplement hérité de comptes en Suisse, il y avait des profils totalement différents.
On a tendance à dire que les sources internet sont peu fiables. Comment vous gérer leur crédibilité ?
AL : Internet est un outil comme un autre, et les sources sont différemment fiables. Sur le site du gouvernement ou de l'INSEE, par exemple, on sait que les informations seront fiables. Mais de toute façon, on croise toujours nos sources, internet ou non. Ce qui est intéressant avec internet, c'est que l'on a accès à des informations à priori inatteignables.
Certains journalistes sont encore réticents quant à l'utilisation du data, alors que votre travail prouve qu'il est maintenant fondamental.
AL : Il y a un besoin de pratique nouveau, évidemment. Tous n'utilisent pas encore le numérique avec toutes les capacités qu'il propose. Mais personnellement ce que j'ai fait de plus intéressant c'est lorsque j'ai travaillé en collaboration avec d'autres journalistes qui avaient d'autres compétences. Il faut voir les data journalistes comme complémentaires des journalistes « traditionnels ».
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